• 3 avril 2022

Les risques du métier… et l’âme du vigneron

Les risques du métier… et l’âme du vigneron

Les risques du métier… et l’âme du vigneron 150 150 Jardin d'Edouard

Je réalise encore aujourd’hui combien il faut aimer ce métier de vigneron. Dame Nature – le gel – a faim de bourgeons, a faim de nos raisins avant même qu’ils ne soient sortis de leur gangue végétale. Ce phénomène se répète si souvent que le moral collectif est touché par cette « injustice ».

Ces dernières années, il y aura eu tant d’avrils dévastateurs : 2016, 2017, 2019, 2021, 2022… soit 5 gels en 7 ans : ce n’est plus une fréquence, c’est une habitude ! Avec des conséquences allant de 10% à 70% de pertes !

Vigneron (viticulteur) est une activité similaire à tout agriculteur, et ce risque de gel printanier n’est en fait qu’une péripétie dans notre profession, mais avec une capacité de destruction très importante, dès le début de saison.

Du cep au verre, tant d’événements peuvent intervenir et ruiner notre labeur : le climat, les ravageurs, les maladies « cryptogamiques » de la vigne…

Je n’ai jamais fait la liste exhaustive, pour ne pas me faire peur, mais on peut compter près d’une dizaine de « catastrophes » pouvant affecter le potentiel de production, la quantité de vendange qui sera récoltée en septembre.

Voici 6 mois de risques successifs :

  • gel de printemps (avril)
  • mange-bourgeons (avril)
  • escargots, cochenilles (avril-mai)
  • coulure, millerandage (juin)
  • mildiou, oïdium, black-rot (mai-août)
  • vers de grappe (juin-juillet)
  • sécheresse, échaudage (août)
  • pourriture par le Botrytis (août-septembre)
  • grêle avant récolte (septembre)
  • étourneaux (septembre)

Beaucoup de ces « agressions » sont indépendantes de la qualité de notre travail, de notre compétence, de nos choix. Les taches seront bien souvent les mêmes avec une, cinq ou dix grappes par cep ( !), ce qui se traduit par des coûts de production constants quel que soit la quantité récoltée, et donc un coût de revient par bouteille exorbitant. Aucun client n’accepterait de payer 30%, 50%, ou 100% plus cher un vin qui ne sera pas meilleur ! Nous ne pouvons pas compenser cette perte de productivité : le prix de la rareté n’existe pas pour nous.

On peut ressentir de l’ingratitude, de l’injustice, de la colère : quelle entreprise « normale » peut accepter de tels accidents ? Se maintenir sans produit à vendre alors qu’il faut toujours financer les coûts de fonctionnement ?

 

Et nous connaissons bien sûr les problématiques de toute société : réglementation, conséquences du Covid19 en 2020-2021, crises économiques, baisse inexorable de la consommation de vin en France, concurrence mondiale…

Alors pourquoi faisons-nous cela, pourquoi les vignerons exercent-ils un métier si aléatoire ? Digne du sacrifice, du sacerdoce ?

Chaque homme, chaque femme aura sa raison, ses raisons intimes, entre l’héritage d’un patrimoine familial, l’engagement humain, des prêts à rembourser, un métier…et la PASSION !

Passion ? C’est un euphémisme, tant nous acceptons la dureté du climat, la difficulté physique, les longues journées, la charge mentale de faire tourner notre entreprise avec ces aléas, motiver nos salariés. Et devoir rendre des comptes à nombre d’administrations, et notre banque…

Heureusement notre ego est nourri durant l’année : fierté d’être servi à votre table, d’être sur la carte d’un grand restaurant, recevoir les belles critiques d’un guide, recevoir un prix renommé, un post Instagram publié de Californie… Nos clients nous encouragent tous les jours : quelle satisfaction de donner du plaisir, de faire partie de vos émotions, de vos souvenirs mémorables entre amis. Être servi à votre mariage, à votre anniversaire, à Noël… une partie du vigneron est dans cette bouteille. Il en est fier !

Mais le mystère est ailleurs. La vigne a quelque chose d’ésotérique, je m’y trouve bien sans savoir pourquoi. Au milieu du vignoble, calme et apaisement, vibrations subtiles des acteurs de notre travail : nous les accompagnons. Hiver, printemps, été, automne, nous entretenons nos vignes patiemment, elles perdurent année après année. De petits arbres solides et fragiles qui peuvent vivre aussi longtemps qu’un Humain, si l’on en prend soin. Une vigne en bonne santé donnera de beaux raisins. Évidemment.

Le vin a toujours inspiré le mythe depuis qu’il existe, bien avant l’Egypte et l’antiquité. Les mythologies mentionnent souvent ce breuvage qui fait partie de notre culture. Nous vignerons, perpétuons aussi cette histoire, ce patrimoine ancestral.

Alors pour ces quelques raisons, j’accepte encore ce gel, et je me prépare une ou deux années bien difficiles puisqu’il faudra se motiver chaque jour à une petite récolte… encore… et gérer la pénurie de vin.

Soigner ces vignes qui cumulent les attaques, entretenir nos sols pour qu’ils les nourrissent, se battre à protéger les raisins qui viendront, les vinifier et les élever attentivement pour en faire des vins d’exceptions. C’est notre ambition au Jardin d’Édouard : Vincent, Dominique, Édouard travaillent chaque jour dans cet objectif…

Pour que vous retrouviez dans votre verre notre passion, notre amour : l’âme du vigneron.